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L’ode de Salim Azzam au « Vieux Monde »

En 2018, déjà une autre époque, Salim Azzam présentait à Beyrouth une de ses premières collections, dans une serre au bord d’une autoroute. Créateur à peine émergent, il rentrait du Canada avide de renouer avec ses racines et son village du Chouf, Bater, où l’entourait un gynécée tendre et bienveillant. Illustrateur, il s’attachera à donner à ces femmes de nouveaux dessins pour les broderies dont elles vivent. L’histoire continue.

L’ode de Salim Azzam au « Vieux Monde »

« Ode au Vieux Monde », collection Salim Azzam, automne-hiver 21-22. Photos tirée de son compte Instagram

Il ne se destinait pas à la mode, Salim Azzam. Son art à lui, c’était le dessin, une obsession venue de son enfance parmi les femmes de son entourage. Celles-ci passaient leur temps à broder, dans les maisons ancestrales embaumées de nuages fruités échappés de la cuisine où bouillait en permanence une marmite de confiture. Une vie simple où le temps semblait indéfiniment rythmé par le va-et-vient des aiguilles, à l’abri du tumulte du monde. C’est l’hôtelier et restaurateur Kamal Mouzawak, archiviste de la cuisine vernaculaire, qui le découvre le premier et lui confie la création de l’identité visuelle de sa nouvelle auberge à Deir el-Qamar. Le créateur Rabih Kayrouz est charmé à son tour par l’art délicat de Azzam. Dans un premier temps, il l’invite à collaborer avec lui sur une ligne de chemises et finit par le pousser à créer sa propre marque, dans le cadre de la fondation Starch qu’il a fondée comme un incubateur pour les nouveaux talents. Depuis, Salim Azzam vole de ses propres ailes, ou plutôt sur les ailes des oiseaux brodés au point d’ombre qui ornent ses collections de vêtements, des pièces simples, inspirées du folklore de son terroir, mais brillamment relevées par les exceptionnelles broderies des femmes du Chouf. L’Orient-Le Jour le désigne à son tour pour participer à la deuxième édition de son concours Génération Orient dont il sera finaliste.

 

Pour mémoire

Pour une « Nuzha » avec Salim Azzam

 

Pour sa nouvelle collection, intemporelle comme toutes les autres mais classée par commodité « automne-hiver 21-22 », Salim Azzam remonte aux sources de la broderie traditionnelle et met au jour des secrets transmis de mère en fille. Il découvre en passant un trésor précieux entre tous : des coupures du magazine Burda, mensuel de couture et broderies comprenant des patrons et des notices explicatives, qui a fait fureur entre les années 1950 et 1970. Entre techniques transmises et astuces acquises dans Burda, les femmes du Chouf ont inventé un style inimitable que le jeune créateur s’attache à moderniser pour mieux le préserver, utilisant des points, des coutures et des pliages destinés aux trousseaux, nappes et parures de lits, pour en faire des vêtements sans pareils.

Les secrets de « Burda »

Salim Azzam nous explique que « dès leur plus jeune âge, les femmes des villages de Chouf, au Mont-Liban, s’efforçaient traditionnellement d’apprendre des métiers intemporels et les utilisaient pour préparer leur trousseau avec de belles broderies ornementales. Des voiles et des robes aux rideaux de fenêtres et de placards, couvertures, nappes, couvre-lits chauds sur mesure et longs oreillers blancs avec des volants roses et bleus qui garderont éternellement les souvenirs d’années de mariage, housses de protection pour canapés et chaises... Beaucoup de ces femmes ont été instruites par leurs mères et leurs grands-mères et ont également été inspirées les unes des autres et plus tard des pages spéciales du magazine Burda. En son temps, ce mensuel représentait pour ces femmes un véritable outil de créativité, leur montrant de nouvelles pratiques et tout un monde de symboles et de motifs qu’elles se sont appropriés, y compris de merveilleuses instructions de couture avec tous les conseils nécessaires. C’est là qu’elles trouvaient de nouveaux ornements pour les coins des nappes avec des descriptions sommaires sur la façon dont l’aiguille doit se déplacer pour produire différents types de points. Elles ont pris ces coupures, les ont dessinées et répliquées pour former des motifs colorés traditionnellement transmis d’une femme à une autre. De leurs broderies jaillissaient des images de fleurs romantiques et de fiers oiseaux colorés, ajoutant de nouveaux récits à cette forme d’art séculaire qui résonne dans chaque motif brodé propre à cette région ».

« Ode au Vieux Monde », collection Salim Azzam, automne-hiver 21-22. Photos tirée de son compte Instagram

Hommage à la transmission

À propos de sa nouvelle collection intitulée Ode au Vieux Monde, le créateur précise : « Nous avons voulu rendre un hommage sincère à cette histoire qui relate la transmission des techniques de broderie. Nous avons commencé à explorer ce monde avec une sorte d’impatience. Des pièces artisanales fascinantes sont ressorties des vieux placards ainsi que des coupures de magazines trouvées dans les tiroirs oubliés. Toute une époque de silence et de dignité où ce travail offrait aux femmes une belle façon de s’exprimer. » Il ajoute : « Cette saison, nous nous sommes intéressés à de nouveaux métiers pratiqués à cette époque et avons recherché les coupures de magazines qui les expliquent pour mieux les préserver, à plusieurs décennies de distance et les réinventer avec de nouvelles interprétations. L’esthétique de cette collection vient de ces techniques délicates et complexes. Pour la première fois, nous avons brodé pour recréer les anciens paysages. Nous avons appliqué la technique du smock pour coudre des plis et assembler des tissus au moyen de nombreux motifs raffinés que l’on retrouve sur les oreillers ainsi que sur les énormes couvre-lits ornementaux. Cette saison, nous avons détourné cette technique pour réaliser des vestes, des sacs et des coiffes. Les taies d’oreiller et les draps à volants ont dominé notre collection ornée de motifs floraux et de délicates parures. Nos pièces entre inserts de motifs traditionnels, coupures de magazines et tissus transparents sont soigneusement brodées pour réaliser de nouvelles silhouettes. Nous avons présenté pour la première fois dans cette collection les dessins, les fils dégradés de bleu et de rouge, couleurs vedettes de cette époque, tout comme couvre-lits et nappes nous ont inspirés avec leurs palettes de blanc, beige et rose soulignés de rouge saturé et de noir. Nous avons réuni diverses broderies de nappes autrefois strictement symétriques, les réinterprétant avec une nouvelle inspiration où l’imperfection souligne une nouvelle liberté. » On l’aura compris, pour la prochaine saison, Salim Azzam se tourne un instant vers le passé avec tendresse et respect, saluant en ces femmes, qui ont conservé et protégé toute leur vie les nappes qu’elles ont passé tant de temps à broder, les authentiques gardiennes d’un savoir-faire ancestral. Chaque pièce de cette collection de vêtements est un hommage à ces femmes, une ode au souvenir d’une de ces grandes occasions, mariage ou naissance, dont leurs broderies gardent la trace vivante et vivace. « Offrir une ode à l’ancien monde, c’est rêver l’avenir en regardant sincèrement et passionnément le passé et en pensant que tout ce dont nous avons besoin, nous l’avons déjà », souligne le créateur.